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En regardant une toile de Chris Pillot, on peut supposer que celle-ci a été préméditée, calculée tant les formes, les lignes sont parfaitement maîtrisées. Or le processus créatif de la plasticienne s’inscrit à l’exact opposé de cette impression. Concevoir une chose revient, pour l’artiste, à l’avoir déjà achevée. Et ce qui est achevé ne l’intéresse plus, l’ennui s’installe. Aussi, elle s’efforce d’évacuer toute projection et s’inscrit dans l’évidence de l’instant. Le faire prime sur la raison. Un geste mécanique, répétitif induisant un automatisme l’extrait de sa pensée pour se laisser guider par l’intelligence de la main. Une concentration intense et une confiance en son intuition se mettent en place. Lorsqu’elle peint, la plasticienne embrasse passé, présent, futur, les enregistre sur la toile, de sorte qu’espace et temps ne font plus qu’un. Chris Pillot peint comme on tisse : dans une accumulation successive de lignes qui se drapent, ondulent sur la toile. La forme, à la fois abstraite et graphique, est générée par une force vibratoire, une conscience simultanée de son intériorité et de sa présence au monde. Celles-ci engendrent des similitudes avec la nature et son étude (la science) : paysage raviné par l’eau, carte topographique, phénomène atmosphérique, spectre chromatique, visualisation de codages, forme organique…

Virginie Baro – galeriste, france

BIO

Dédiée à la peinture depuis 35 ans, Christine Pillot étudie dans les années 1980 aux Beaux-Arts de Toulouse et à la Faculté d’Arts Plastiques de Bordeaux. À 23 ans elle part au Sénégal et va y résider de 1988 à 2008. Durant ces vingt années africaines, en tandem avec Mauro Petroni, elle co-dirige l’atelier « Céramiques Almadies », centre d’art de référence, galerie d’exposition et atelier de Peinture. Elle y réalise les projets artistiques, commandes de design et de scénographie d’espace. Elle se fait connaitre à Dakar en 1994 avec l’exposition de peintures et de sculptures en terre « Antigravité » à la Galerie 39 de l’Institut Français. Son parcours d’expositions fait voyager son œuvre dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe.

Elle explore la technique picturale à l’huile comme à l’acrylique, dans des séries d’abstraction géométrique avec pour fil conducteur le sens cognitif de l’art.

Enseignante de dessin et arts plastiques au Lycée Jean Mermoz, elle prodigue l’expression artistique avec les patients de l’hôpital psychiatrique de Fann, puis avec les enfants des rues dans le cadre du Samu Social. Elle vit aujourd’hui à Bordeaux, dans un espace qui abrite son atelier et une partie de ses œuvres.

La couleur, la lumière, la genèse évolutive liée au corps dans l’espace-temps s’y retrouve au cœur de sa démarche artistique et philosophique. Depuis 2019, elle s’est consacrée aux variations de la couleur Indigo. Son travail est représenté par la galerie Art’Gentiers, à Bordeaux et Nebbam Gallery à Bologne. En 2022 elle part au Sénégal dans le cadre d’une résidence artistique au bord du fleuve Sine-Saloum où elle réalise une nouvelle série Indigo, présentée à la Maison Eiffage pour la 11e édition du Partcours à Dakar sous le commissariat de Theo Petroni. S’ensuit en 2023 une résidence à Knysna en Afrique du Sud, invitée par la Fondation Saffca. En 2024 elle expose à paris avec Barbara Ansei Dantoni, représentée par la galerie Art’Gentiers, pour la foire d’art AKAA.

Texte: Christine Pillot: Indigo / AFRIQUE

INDIGO : AFRIQUE

Mes ancrages africains sont remontées à la surface l’année d’enfermement « covid » durant laquelle je me suis plongée dans le voyage dans l’indigo. 

Cette série de peintures sur toile succède à la série Now is Gone.

Le blanc du fond laisse place au noir. La couleur bleu-noir ou indigo de la peinture àl’huile, évolue et rythme des intervalles contrastés, fondus dans la teinte noire et mate : la couleur glisse doucement vers l’éclaircissement par un ajout progressif du blanc.

Au départ, en installant les toiles sur les murs de mon atelier, mon lieu de vie, j’ai eu peur de m’entourer d’obscurités, de renvoyer une énergie sombre. En fait, je les découvre comme des entités qui me subjuguent, au fil de chaque regard elles se transforment en généreux messages avec le jour qui vient.

Les toiles deviennent des surfaces ondulantes qui se meuvent au rythme de la nuit et du jour, se révèlent par l’intensité changeante d’une lumière réfléchie.

L’éclairage agit sur la surface et exacerbe plus ou moins le passage de l’ombre à la lumière. Chaque temps, pluie ou soleil, transforme l’oeuvre, et en silence dévoile un détail, une nouveauté, une touche, mesure une teinte… devient surprise, apparition !

Le cerveau en même temps qu’il se repose, travaille en permanence. En l’absence de lumière, dans la nuit sombre, les surfaces se replient dans le sillage de la fracture. Si peu à peu la lumière revient, des brillances s’accrochent à l’épaisseur de la touche, envoient des signaux cuivrés. D’une musique élancée et silencieuse, les toiles de surfaces indigo sont là, offrent un horizon céleste, abyssal, infini, me plongent dans un sentiment de confiance réconfortant. Aujourd’hui, comme une nécessité, ce travail sur la couleur indigo est synthèse, une simplification d‘un tout, un lâcher prise.

Comme une ombre qui se déplace, de ce bleu dense se dégage avec subtilité le contact du blanc. La partition d’une mélodie qui avance, rythmée par la saccade d’un pinceau maîtrisé, d’un souffle retenu… Un son déguisé de noir qui s’amplifie, dégageant, pulvérisant le nectar bleuté de son pigment. Peur de faire trop clair sur le fond noir… Les noirs succèdent aux noirs qui en fait sont des bleus ! Clair-obscur ! Jubilation de découvrir que l’on ne voit pas ce que l’on croit voir. Comment un bleu-noir peut-il se différencier d’un bleu-noir ? C’est alors que le regard se laisse absorber dans cette matière vivante.

C’est une entrée affirmée dans une dimension abyssale d’où l’on reviendrait, un plongeon vers l’inconnu fascinant, une remontée progressive et douce vers la surface.

Le concept du sombre n’est en fait que clarté : altérité ! Plus il est concentré et dense, plus il est foncé, plus on le voit car c’est de là qu’il tend vers le clair. « Un » annonce « deux ». L’obscurité dévoile la lumière. 

Telle la macération de l’Indigo : plus il y a d’air (et donc de lumière), plus le liquide se meut en bleu. La couleur Indigo est élégante, sobre, sensuelle, féminine et masculine, au parfum tonique de racine, de terre, de profondeur marine ou céleste.

Le terme « Indigo » désigne la matière colorante extraite des feuilles de plusieurs espèces de plantes à Indican, dont l’Indigotier, en une seule et même molécule nommée « Indigotine » ou « Indigo », d’une puissante couleur bleu foncé. C’est une couleur ancestrale aux qualités uniques qui relie l’humanité comme un bien commun à tous, à la caractéristique d’avoir, dans tous les continents du monde, rassemblé les hommes autour de la tradition de la teinture.

On retrouve l’indigo dans des traditions millénaires en Chine, en Inde, au Pérou, au Mali ou en Egypte. Très prisé par les Européens, de l’Antiquité à la Renaissance, pour la rareté et la difficulté à obtenir des colorants bleus pour tissus. C’est la teinture du bleu de travail, celle du Blue Jean Américain. Porté en Asie par les guerriers Samouraïs sous leur armure, un vêtement était teinté d’indigo pour sa beauté et ses propriétés antiseptiques. Dans le Kundalini Yoga, la couleur symbolise le 6e Chakra, celui du front ou « troisième oeil », AJNA qui correspond au son « Ôm ».

La méthode traditionnelle d’obtention de la couleur se fait par un procédé d’extraction naturel : la fermentation des feuilles dans l’eau permet de libérer l’« indoxyle » transformant en bleu noir le liquide densifié des feuilles macérantes, pour en renforcer le tanin, tel un processus de vinification. L’oxygénation révèle le pigment « indigo » qui s’oxyde au contact de l’air et de la lumière.

Le vécu comme expérience imprime le corps d’une mémoire indélébile : très vite j’ai compris que le tissu de couleur indigo serait mon objet indispensable. En voyage je ne pars jamais sans mon pagne indigo. Il me serre toujours, m’isole du froid. Je suis certaine que, comme le Henné, l’indigo a des vertus protectrices. En tout cas j’ai toujours voulu le croire, comme une chose entendue. C’est mon tissu protecteur, mon talisman.

Afrique, Sénégal, en pays Bedik (à la frontière sénégalo-guinéenne) : souvenirs de moments puissants, en pleine brousse, sur les marchés de tissus indigo, centre de rassemblement des marchands venus de toutes parts. Sur des bancs de bois rafistolés, des piles de bandes épaisses cousues, des solfèges de bleus s’offrent à ceux qui peuvent les saisir.

Le parfum fort des étalages d’indigo se distingue de la poussière de la terre sèche et de

l’air chaud mélangés, du bruit des voix des hommes des femmes, du vent, des animaux,

des charrettes, des transistors… Les piles de tissus nombreux, majestueux, propres,

forts, poignants, impeccables. Les mains sont bleues à force d’avoir déplié les étoles aux

différents motifs.

Asie, extrême nord Viêt-Nam, province Lao Caî : des rizières sillonnant les vallées,

noyées dans leurs perspectives, les contours montagneux apparaissent dans les brumes, humides et vaporeuses. Là, les maisons ponctuent de touches sombres les plateaux en escaliers : géométries linéaires, ondulations verdoyantes, inondations, reflets du ciel dans les flaques. Les vêtements indigo sèchent, suspendus à un fil.

Les paysans Hmong habillés de bleus travaillent sans relâche. Leurs vêtements d’étoffe épaisse sont usés mais rendus résistants par leur couleur gorgée de pigment indigo.

Désert : silhouettes ondulantes des hommes bleus, les Touaregs… peaux noircies par la teinte des chèches indigo, contrastés par l’orange oxyde du Henné, le jaune de Naples des étendues de sable, le rouge laqué des buissons épineux… voiles volants.

Ciel immense jour et nuit, immensité d’un silence à l’écho bruyant !

Chris Pillot – Peintre, France.

Texte: Maeva Cence / Galerie Art'Gentiers

Avec la série de toiles Indigo, l’artiste écrit le temps vécu en créant des empreintes-encéphalogrammes, des reliefs, des cartographies qui, comme des partitions, chantent les vibrations de l’instant présent. L’improvisation est centrale. Le processus créatif de la série Indigo exclut toutes pensées de préméditation, d’esquisse ou d’étude préliminaire, car l’idée de concevoir une œuvre réside pour l’artiste dans son achèvement. Ce qui la fascine, c’est la participation de l’aléatoire, de l’inattendu, de ce qui survit au-delà de la maîtrise technique et de l’engagement porté. L’œuvre une fois achevée exprime le langage d’une troisième dimension, une variante de langage selon le récepteur. Ainsi pour Chris Pillot, seul compte l’évidence de l’instant, le faire premier alors sur la raison, nous obligeant à nous repositionner dans notre rapport au monde, qui, tels des palimpsestes sensibles interrogent également notre rapport à l’autre.

Ainsi, lorsqu’elle appose la dernière touche sur la surface peinte, l’œuvre surgit, prend vie et nous enveloppe de sa narration. Naît alors un nouveau vocabulaire plastique qui prend sa source dans la rencontre avec la lumière ou comme le définit Pierre Soulages la « lumière-matière ». La présence de la lumière a un rôle essentiel dans cette série de toiles Indigo. Elles évoluent doucement avec elle et par elle, en tonalité ou en clarté. Lorsque la toile rencontre la lumière, ses rayons viennent alors mettre en évidence les touches déposées successivement, dans une rigueur rythmant le temps qui passe. Les graduations de bleus semblent infinies et évoluent sur la toile à l’insue de l’œil. On se retouve ainsi dans un fond d’océan ou dans une abysse profonde, où plongent le corps et l’epsrit, univers cinétique, où respiration et battement du coeur rythme le perpétuel mouvement.

Galerie Art’gentiers

 

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